FIGUIER, ancien luron, tu t'es cramponné ferme au rocher ; tu n'as peur ni de l'orage ni du précipice. Comme un vieillard aux membres tors, déformé de rhumatisme, tu réchauffes d'abord ton corps gris au soleil ; et puis gaillardement tu pousses à la pureté céleste tes bourgeons pointus comme des oreilles de faune. Au plus lourd de l'été, si la terre en torpeur s'hypnoptise de clartés, tu sais ouvrir le parasol prudemment vaste de tes feuilles, offrir une citerne d'ombre fraîche ; ton voisinage est un dictame, toi qui as bu les pleurs de la Magdaléenne. Dans quel autre monde, quand tu fus jeune, as-tu connu ces chairs friandes auxquelles tu songes en mûrissant tes figues, si roses, si grasses ? L'âge ne t'épuise pas ; débonnaire tu donnes tes deux récoltes, l'une plus abondante, l'autre plus douce ; et tu recommences chaque année, Figuier biblique, vieux patriarche. À travers les siècles, tu t'es fait confiseur, bonhomme à l'odeur sucrée, et qui donc mieux que toi distillerait la goutte fondante au bout de ton fruit, topaze rare à l'expertise des gourmets. Tu te prodigues à côté des maisons nécessiteuses, toi que les rhapsodes ont chanté à l'égal du vin, toi qui abrites le tombeau blanchi des marabouts ; et c'est auprès de toi que chante mieux l'âme bucolique des flûtes, que bat plus fortement le cœur sourd du tam tam. Figuier, berbère montagnard, trésor du pays kabyle. |
Louis Berlebach
Notre Rive
Revue nord-africaine illustrée
Mai 1927
Maison de Kabylie maritime et son verger de figuiers en hiver