— on n'abat que les arbres qui
gênent les plus forts.
— la loi est la même pour les
hommes
— l'homme a
des oreilles. pas l'arbre.
— mais l'arbre
écoute. pas l'homme
— l'homme a deux poumons. pas
l'arbre.
— l'arbre est un poumon. pas
l'homme.
— à quoi lui sert de
vivre s'il doit être
immobile ?
— ce n'est là
qu'illusion :
l'arbre marche la nuit.
— l'homme aussi tient debout.
— mais l'arbre jamais ne plie.
— c'est vrai : l'homme parfois se penche
et se gratte la cheville.
— l'homme voyage, pas l'arbre.
— l'arbre voyage : les oiseaux
lui disent tout.
— l'homme pour faire l'arbre,
se met la tête à l'envers.
— l'arbre n'a nul besoin
de faire l'homme.
l'arbre
à l'étroit dans sa gangue
se sent chrysalide
l'homme ébrouera
son envie de papillonner
au premier coup de hache
c'est quand l'homme arrive
hache à la main
que la forêt
se sent aux abois
c'est quand l'homme est pressé
que la forêt
vengeance
lui assène une volée de bois vert
il reste dans l'arbre assez de sève :
il attend, suicidaire, que le fer le délivre
le lieu est là
marqué d'une souche
que l'homme s'épuisera
à vouloir effacer
restera la cicatrice
l'arbre avale sans maudire
les sourds coups de cognée
que l'homme lui assène
il lui rendra bien
quand, assis,
la chaise se brisera
Jacques Fournier
(Arbrures © l'épi de seigle, 1994)
Les Riverains du feu
Anthologie par Christophe Dauphin
Le Nouvel Athanor, 2009