les arbres les branches se balancent doucement au-dessus de sa tête
masquent le soleil la pleine lune et forment des raies de lumière et d'ombre
les branches font alterner lentement l'ombre et la lumière
la lumière dorée du soleil tamisée par les feuilles vert tendre presque jaune du tilleul
entre les branches
les feuilles bougent doucement et le bercent
son cheval baisse la tête l'encolure dessine un arc de cercle
le corps de Bayart est couvert d'un drap jaune rayé de vert
son armure sera son linceul on ne peut lui ôter
auprès de lui une cage renferme deux oiseaux
il porte encore les rubans d'un ancien tournoi
auprès de lui les pages font des cercles et pleurent
les pages font un cercle les pages bougent lentement très lentement
il se souvient de ses jeux de page et du ruban de page qu'il porte encore dissimulé
sous son armure
il entend la musique une musique monte d'une tente voisine
il aurait pu naître près du fortin au bord de la plage derrière les vagues de l'océan
attendant que l'eau s'éloigne pour tracer des lignes dans le sable
il aurait aussi bien pu posséder une barque bleue
et dormir dans l'odeur mauvaise de goudron de vase et de varech desséché
l'arbre est renversé bientôt ses branches toucheront son front la nuit est claire
les buissons les feuillages aussi se penchent le ciel est blanc
la nuit est bleu profond la nuit a la couleur d'un étendard bleu et doré
près de l'arbre renversé les voix sont innombrables il marche dans un couloir de voix
un poids écrase sa poitrine son armure est étroite elle sera son linceul
il aurait pu porter un bonnet de velours grenat et un manteau de drap pourpre
bordé d'hermine
posséder des chiens habiter près du fortin et protéger les hommes muets
mais les pages déposent autour de lui des fleurs et des branchages
les fleurs et les branchages recouvrent son corps
il sent dans sa bouche un goût de bergamote et de sirop amer
il marche dans la forêt blanche bleue et rouge
la forêt est un drap parsemé de fleurs et de chardons
une dame et sa servante dansent sur une île bleue et fleurie
la forêt est un mur autour de l'île où dansent et chantent la dame et sa servante
l'île est bleue dans la forêt rouge il y a un lion très doux
des chiens et des singes dorment immobiles au pied de la servante
le chevalier entre dans un pré clos l'herbe y est haute
l'arbre renversé est une voûte sombre puis claire les branches caressent son front
Bayart ferme les yeux sur l'ombre bleue qui lentement le gagne
il traverse en courant un couloir de voix
au loin son père parle doucement et lui sourit
l'arbre renversé enfin le caresse et le berce
le vent agite la voûte des arbres les branches en s'agitant laissent apparaître le soleil
son armure brille les fleurs la recouvrent elle sera son linceul
Pascale Monnier
Bayart
P.O.L, 1995