Ses cornes sont partout
son ventre nulle part
c'est un arbre en hiver qui s'est mis à genoux
pour essayer d'atteindre à l'eau de cette mare.
Ses cornes sont d'argent et sont feuillues d'ivoire,
de rouge, de vieil or, de doigts ensanglantés.
I
« Conserve ton trésor enfermé dans la tiare
« que nos bras ont tressée sur ton profil de cerf.
« Écoute le secret de nos lèvres avares
« et repose en nos plis de rose et de clarté. »
L'arbre noir répondit : « L'onde m'est un miroir !
« J'y guette mes saisons, j'y change de beauté
« et le temps en tous temps m'y trace les sillons
« allongés vers la mort et toujours plus profonds.
« La nuit je suis les cris des agonies nocturnes.
« Le soleil renverse ma gorge comme une urne.
« Il jette à mon côté un long regard d'offense
« à l'heure où Dieu fut mort et flétri par la lance ! »
II
J'ai voulu montrer l'arbre qui pleure comme un cerf.
C'était l'été. Ses visières sont trop riches
La saison sainte c'est l'hiver.
La ferme s'épouillait devant sa grange à l'aise.
Des femmes ravaudaient installées sur des chaises.
L'arbre auprès de la mare, ce n'était qu'une niche
à canards d'arc-en-ciel, à pucerons bénis.
Dix-huit corbeaux, besants noirs bien pesants,
veillaient debout, veillaient sur sept boules de gui.
Rendez, rendez l'hiver à ma lente agonie.
Max Jacob
L'homme de cristal
Gallimard, 1967