Un peuplier feuillu
Interroge la terre
— Est-il vrai que je fus,
Cet hiver, dévêtu ?
Je ne m'en souviens guère,
Je ne m'en souviens plus.
Quand on est peuplier
Votre mémoire est brève
À peine votre sève
Est-elle au bas du pied
Qu'un espoir vous soulève
Prêt à se déplier.
On rêve à haute voix,
Le museau dans la lune :
Obole d'infortune,
Pâle aumône du froid,
Le mât de la grand'hune
Te repousse du doigt.
Oui, l'on sent que bientôt
Tout va changer : la gomme
Suinte aux bourgeons d'en haut.
Il pleut. Les doigts de l'eau
Secouent enfin le somme
Du plus tardif rameau.
Aux cycles de la vie
On est si bien lié
Qu'ainsi tout se délie.
Aux cercles de l'aubier
Tout renaît, tout s'oublie
Quand on est peuplier.
Pierre Menanteau
Œuvre poétique, tome IV
SOC et FOC, 2001