Flânant dans le verger nous mordîmes le fruit,
L'épieu de l'ange aux pieds du voyageur céleste
Tournoya comme un paon devant l'arbre de vie
Et nous fûmes roués aux jantes du tonnerre.
Embarqués étrangers dans les bacs du soleil,
Traînés vers les bûchers que point l'éclair des routes
Et sur la neige agenouillés dans la montagne
Où saigne comme un coq l'aubier blessé des astres
Nous serons en exil,
Peuple-Christ déchiré sur l'arbre de l'histoire.
Comme une cicatrice à l'essieu du silence
L'aveugle météore est tombé dans la mer.
Arbre, nous te louons pour le fruit de la mort,
Les sources et les faons de ta cendreuse terre :
Sur notre irréparable et chaude histoire d'homme
S'épanouit la rose obscure du carnage.
L'éden est un feu d'algue aux ronces des falaises,
Une rose d'acier que font fleurir la nuit
Les oiseaux abattus dans les pluies printanières.
L'avenir dans comme un cèdre incandescent,
Le monde est devenu ce grand verger en flammes
Où nul ne se souvient du paradis perdu.
Les têtes des marins remontent en surface,
Ils font sonner en vain les conques de l'oubli :
Leur souffle a desséché le ventre de la mer
Les varechs de l'exil leur coupent le visage
Ils respirent le vent des autres nébuleuses...
Claude Vigée
La lutte avec l'ange
Un chant de sombre joie dans l'agonie du temps
(Poèmes 1939-1949)
L'Harmattan, 2005