Le printemps c’est, de l’année, la saison où l’on peut, à l’instar de l’oiseau, nager dans les arbres. Non que rien de bleu s’offre aux membres ou juste les trous de formes plutôt baroques que régulières, creusés parmi les feuilles encore un peu crispées mais qui déjà tâchent de dérober le ciel aux yeux de qui lèverait la tête : il ne découvrirait que la boulange des rameaux, pétrissant à pleins bras la pâte invisible mais sonore des vents d’avril.
… Donc : nager dans ce vert piqueté çà et là d’ébréchures, bouche dans les branches et pieds perdus dans le plus haut ; je dis : tendre la paume vers le bourgeon, non pour saisir mais pour offrir, faire don de ses nervures humaines, transplanter dans le bois ses fluides corporels, sceller son cœur sous une de ces loupes où le tronc semble hésiter à bifurquer ou à poursuivre sa course verticale. Nulle immobilité dans cette posture ; ou celle du cerf-volant, à plat ventre dans la brise : un lent mouvement de balancelle, flottant comme en surface de lac sous les ondulations à peine observables suscitées par la gravitation de la lune…
C’est ainsi que l’on nage dans les arbres : y frayant sa coulée, comme goutte à goutte l’eau fait concrétion dans le calcaire. Le plus difficile est de trouver l’amorce, l’écorchure originelle. Certains choisissent la métamorphose en source, et remontent par les racines ; d’autres cherchent au défaut d’une ramification l’anfractuosité où ils se glissent tête d’abord, puis les épaules, buste et jambes — comme on naît, mais aspiré vers l’aval des frondaisons. |
Lionel-Édouard Martin
Brèches
Éditions Encres vives, 2005