À Cora Lapercerie-Richepin
Dans le bois qui s'endort ont fui des formes blanches !
Car le faune, affolé par l'éclat d'un corps nu,
A fait jaillir son front fiévreux, roux et cornu,
Parmi l'écartement des branches !
Le vent caresseur berce, en chuchotant des mots,
Les feuilles que la nuit courbe l'une après l'autre ;
Et tout là-bas, montant d'un vol égal, la lune
Glisse entre les doigts des rameaux.
Sans doute le berger veut regagner sa hutte.
Sur le gravier craquant s'éloigne un bruit de pas...
Le parfum flotte en l'air des fleurs qu'on ne voit pas,
Avec un chant naïf de flûte.
Des bruits indéfinis peuplent le bois touffu.
Il parle encore avant l'universel silence,
Et le chœur des grillons qui grince un trille, lance
Son adieu triste au jour qui fut.
Mais, tout à coup, voici... qu'un bruit se meurt... un autre...
Le vieux faune penaud rôde en traînant le pied,
Et las d'être à l'affût, de bondir, d'épier,
Dans un taillis moelleux se vautre.
Les feuilles ont des sursauts brefs d'agonisants,
Les fleurs molles ont clos leurs lèvres entrouvertes,
Et le bois a caché, sous ses paupières vertes,
Ses petits yeux de vers luisants.
Sur le rustique autel la nuit fana le ciste.
Les sentiers noirs seront muets jusqu'au matin,
Et comme un souvenir du chant de flûte éteint,
Un son qui meurt tremble et persiste.
Un voile violet sur les arbres s'étend,
Comme un vélarium gonfle, entre des pilastres,
Et pour dormir tranquille avec son peuple d'astres,
Le ciel s'est couché sur l'étang !
Le cri se dresse encor d'un cerf lointain qui brame...
Puis tout se tait !... plus rien ne bouge... l'heure fuit...
Le sol respire à peine... Ainsi que chaque nuit,
Le bois nocturne a rendu l'âme !
1908.
Jean Cocteau
Œuvres poétiques complètes
Le Lampe d'Aladin
Bibliothèque de la Pléiade
Gallimard, 1999