III
Le chêne, qui conserve mieux un rayon
de soleil qu'un mois entier de printemps,
ne sent pas la spontanéité de son ombre,
la simplicité de sa croissance ; c'est à peine
s'il connait le terrain sur lequel il a poussé.
Avec ce vent qui laisse sur ses branches
une absence de musique, il imagine
pour ses rêves un vaste plateau.
Et avec quelle rapidité il s'identifie
au paysage, à l'âme tout entière
de sa frondaison et de moi-même.
Il irait jusqu'au ciel si ce n'était
pour la sève qui le lie encore à l'arbre.
Ce jour viendra. Entre-temps, il écoute
le bruit des oiseaux dans leurs vols,
celui léger du bouvreuil, celui fortement ailé
de l'outarde, vigilant et clair.
Je suis comme lui. Ah, chêne au bois
plus sombre encore que celui du rouvre,
qui me comble de joie, joie si intense
quelques instants avant le crépuscule,
redoublée maintenant. Comme l'avoine
que l'on sème à la volée, et qu'importe
si elle tombe ici ou là si c'est sur la terre,
l'ardeur contenue de la pensée peu à peu
s'infiltre dans les choses, les entrouvrant
pour y laisser sa splendeur, et leur donner
ensuite un nouvel éclat intérieur.
C'est vrai car, sans moi, que saurait
le chêne de la mort ? Réels sont chez lui
l'intimité, l'instinct, la spontanéité
de l'ombre ô combien fidèle ? Réelle est
ma vie ainsi, dans ses feuilles persistantes
au cœur de ce printemps à moitié déchiffré ?
Claudio Rodriguez
Poésie espagnole 1945-1990
Anthologie par Claude de Frayssinet
Actes Sud, 1995