Même aux eaux, même aux fleurs, même aux arbres
La poésie encore, avec art mensongère,
Ne peut-elle prêter une âme imaginaire ?
Tout semble concourir à cette illusion.
Voyez l'eau caressante embrasser le gazon,
Ces arbres s'enlacer, ces vignes tortueuses
Embrasser les ormeaux de leurs mains amoureuses,
Et, refusant les sucs d'un terrain ennemi,
Ces racines courir vers un sol plus ami.
Ce mouvement des eaux et cet instinct des plantes
Suffit pour enhardir vos fictions brillantes ;
Donnez-leur donc l'essor : que le jeune bouton
Espère le zéphyr, et craigne l'aquilon ;
À ce lis altéré versez l'eau qu'il implore ;
Formez dans ses beaux ans l'arbre docile encore ;
Que ce tronc, enrichi de rameaux adoptés,
Admire son ombrage et ses fruits empruntés ;
Et si le jeune le cep prodigue son feuillage,
Demandez grâce au fer en faveur de son âge.
Alors, dans ces objets croyant voir mes égaux,
La douce sympathie, à leurs biens, à leurs maux
Trouve mon cœur sensible, et votre heureuse adresse
Me surprend pour un arbre un moment de tendresse.
Jacques Delille
Œuvres complètes
Firmin Didot Frères, 1840