Nous mourons notre mort dans des forêts d'eucalyptus
géants dorlotant des échouages de paquebots
dans le pays où croître
drosera irrespirable
pâturant aux embouchures des clartés somnambules
ivre
très ivre guirlande arrachant démonstrativement
nos pétales sonores
dans la pluie campanulaire de sang bleu
Nous mourons
avec des regards croissant en amours extatiques dans des
sans parole de barrage dans nos poches, comme une île
Nous mourons
parmi les substances vivantes renflées anecdotiquement
de préméditations
dans la marche percée
des larmes silencieuses
Nous mourons d'une mort blanche fleurissant de mos
son poitrail d'absence splendide où l'araignée de
son ardente mélancolie de monère convul
dans l'inénarrable conversion de la Fin.
Merveilleuse mort de rien
Une écluse alimentée aux sources les plus secrètes de
l'arbre du voyageur
s'évase en croupe de gazelle inattentive
Merveilleuse mort de rien
Les sourires échappés au lasso des complaisances
écoulent sans prix les bijoux de leur enfance
au plus fort de la foire des sensitives en tablier d'ange
dans la saison liminaire de ma voix
sur la pente douce de ma voix
à tue-tête
pour s'endormir.
Merveilleuse mort de rien
Ah ! l'aigrette déposée des orgueils puérils
les tendresses devinées
voici aux portes plus polies que les genoux de la prosti
le château des rosées — mon rêve
où j'adore
du dessèchement des cœurs inutiles
(sauf du triangle orchidal qui saigne violent comme le
silence des basses terres)
dans une gloire de trompettes libres à l'écorce écarlate
cœur non crémeux, dérobant à la voix large des précipices
d'incendiaires et capiteux tumultes de cavalcade
Aimé Césaire
Les Armes miraculeuses
Gallimard, 1946