Entre l'azur sans fronce et l'autre azur sans ride,
une île grecque où blé ne pousse, ni muscat,
détesterait ses jours, pareils à du mica,
sans ses arbres rompant sa nudité torride.
Douze arbres un par un tout le temps recomptés,
l'orgueil et le plaisir des hommes de cette île,
contre le sec vernis du soleil infertile
défendent les bontés et les fécondités.
Douze arbres, vénérés chacun comme le même,
pour leurs fruits, même noirs, ou pour l'âge qu'ils ont,
décrètent, dans les cœurs, des fleuves de gazon,
et d'amour pour autant qu'ils ont fait qu'on les aime.
On les connaît par cœur. On les soutient de l'œil.
Tous ensemble, dans eux, sans bruit, l'on se rencontre.
Aux hommes endormis parfois l'un d'eux se montre
comme un bouquet de fruits sur le marbre d'un seuil.
Les arbres, dans l'ennui minéral des substances
de la soif, qui de l'île azurent le coffret,
vont attestant que Dieu, jamais, ne souffrirait
qu'à des hommes manquât telle de ses prestances.
L'île ou manger le lait de chèvre, les poissons,
au ciel de mer est une dure et blanche étoile,
non point toute, pourtant, hors de l'humaine toile,
car, sous les blancs coteaux, nus comme des glaçons,
près du port qui contient la limpide teinture,
dans l'arsenal moderne on laboure le fer.
D'un tonnerre et, parfois, du mal d'un son plus clair,
tout vibre, où les humains refont une nature.
Jacques Audiberti
La beauté de l'amour
Gallimard, 1955