À Manolo Ayuso
I
Vieux oliviers assoiffés,
sous le clair soleil du jour,
oliviers poussiéreux
de la campagne d'Andalousie !
La campagne andalouse, peignée
par le soleil caniculaire,
de colline en colline rayée
d'oliviers et d'oliviers !
Les terres
ensoleillées,
amples collines, monts lointains,
sont parsemés d'oliviers !
Mille sentiers. Avec leurs mulets,
surchargés de couffins,
s'en vont fermiers et muletiers.
À la porte
de l'auberge du chemin
boivent de vin
de farouches bandits !
Oliveraies, oliveraies,
de colline et colline accrochées
comme des brandebourgs brodés !
Oliviers colorés
d'un soir couleur d'orange ;
oliviers brunis
sous la lune argentée !
Oliviers étincelants
dans les soirs de cendre,
sous les cieux lourds
d'orage !...
Oliveraies, que Dieu vous donne
des mois de janvier
pleins d'averses,
des mois d'août pluvieux,
et les vents de printemps
vos fleurs en belles grappes ;
et les pluies de l'automne,
vos olives violettes.
Olivier, par cent chemins,
s'en iront tes olives
vers cent moulins,
donnant du travail
aux fermes,
aux fermiers et aux journaliers,
braves fronts assombris
sous leurs larges chapeaux !...
Oliviers et cultivateurs,
les bois et la race,
le champ et la place
de ceux qui sont fidèles au terroir,
à la charrue et au moulin ;
de ceux qui montrent le poing
au destin ;
les paysans bénis,
les seigneurs brigands,
les messieurs
dévots et contrebandiers !...
Villes et villages,
au bord des rivières
au creux des montagnes !...
Que Dieu vienne dans les foyers
et dans les âmes de cette terre
d'oliviers et d'oliviers !
II
À deux lieux de Úbeda, la Tour
de Pero Gil, sous ce ciel de feu,
triste bourg espagnol. La voiture roule
parmi les oliviers gris et poussiéreux.
Là-bas, le château héroïque.
Sur la place, des mendiants et des gamins :
une orgie de haillons...
Nous passons devant le parvis du couvent
de la Miséricorde.
Les murs blancs, les cyprès noirs !
Âpre mélancolie
comme lime de fer
qui racle le cœur ! Entourée de murailles,
piété qui se dresse sur ce tas de fumier !...
Cette maison de Dieu, dites, mes frères,
Cette maison de Dieu, que garde-t-elle ?
Et ce pâle jeune homme,
éberlué, attentif,
qui semble nous regarder avec sa bouche,
est sans doute le fou du village,
de qui l'on dit : voici Lucas,
Blaise ou Ginès, l'idiot que nous avons.
Nous poursuivons. Des oliveraies. Les oliviers
sont en fleur. La lente guimbarde,
au pas de deux méchantes haridelles,
chemine vers Péal. Campagnes fertiles.
La terre produit ; le soleil est à l'œuvre ;
l'homme est fait pour ce sol :
il engendre, sème et laboure,
et sa fatigue unit la terre au ciel.
Et nous, nous troublons
la source de vie, le soleil primitif,
avec nos yeux tristes,
notre prière amère,
notre main oisive,
notre pensée :
̶ on engendre dans le péché,
on vit dans la douleur, Dieu est si loin ! ̶
Cette piété dressée
sur ce bourg sordide, sur ce tas de fumier,
cette maison de Dieu, oh ! dites-moi,
saints canons de von Klück !
que garde-t-elle
en elle ?
Antonio Machado
Champs de Castille
précédé de Solitudes, Galeries
et autres poèmes et suivi des
Poésies de la guerre
Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé
Gallimard, 1980
Los Olivos
I
¡Viejos olivos sedientos
bajo el claro sol del día,
olivares polvorientos
del campo de Andahicía!
¡El campo andaluz, peinado
por el sol canicular,
de loma en loma rayado
de olivar y de olivar!
Son las tierras
soleadas,
anchas lomas, lueñes sierras
de olivares recamadas.
Mil senderos. Con sus machos,
abrumados de capachos,
van gañanes y arrieros.
¡De la venta del camino
a la puerta, soplan vino
trabucaires bandoleros!
¡Olivares y olivares
de loma en loma prendidos
cual bordados alamares!
¡Olivares coloridos
de una tarde anaranjada;
olivares rebruñidos
bajo la luna argentada!
¡Olivares centellados
en las tardes cenicientas,
bajo los cielos preñados
de tormentas!...
Olivares, Dios os dé
los eneros
de aguaceros,
los agostos de agua al pie,
los vientos primaverales,
vuestras flores racimadas;
y las lluvias otoñales
vuestras olivas moradas.
Olivar, por cien caminos,
tus olivitas irán
caminando a cien molinos.
Ya darán
trabajo en las alquerías
a gañanes y braceros,
¡oh buenas frentes sombrías
bajo los anchos sombreros!...
¡Olivar y olivareros,
bosque y raza,
campo y plaza
de los fieles al terruño
y al arado y al molino,
de los que muestran el puño
al destino,
los benditos labradores,
los bandidos caballeros,
los señores
devotos y matuteros!...
¡Ciudades y caseríos
en la margen de los ríos,
en los pliegues de la sierra!...
¡Venga Dios a los hogares
y a las almas de esta tierra
de olivares y olivares!
II
A dos leguas de Úbeda, la Torre
de Pero Gil, bajo este sol de fuego,
triste burgo de España. El coche rueda
entre grises olivos polvorientos.
Allá, el castillo heroico.
En la plaza, mendigos y chicuelos:
una orgía de harapos...
Pasamos frente al atrio del convento
de la Misericordia.
¡Los blancos muros, los cipreses negros!
¡Agria melancolía
como asperón de hierro
que raspa el corazón! ¡Amurallada
piedad, erguida en este basurero!...
Esta casa de Dios, decid hermanos,
esta casa de Dios, ¿qué guarda dentro?
Y ese pálido joven,
asombrado y atento,
que parece mirarnos con la boca,
será el loco del pueblo,
de quien se dice: es Lucas,
Blas o Ginés, el tonto que tenemos.
Seguimos. Olivares. Los olivos
están en flor. El carricoche lento,
al paso de dos pencos matalones,
camina hacia Peal. Campos ubérrimos.
La tierra da lo suyo; el sol trabaja;
el hombre es para el suelo:
genera, siembra y labra
y su fatiga unce la tierra al cielo.
Nosotros enturbiamos
la fuente de la vida, el sol primero,
con nuestros ojos tristes,
con nuestro amargo rezo,
con nuestra mano ociosa,
con nuestro pensamiento
?se engendra en el pecado,
se vive en el dolor. ¡Dios está lejos!?.
Esta piedad erguida
sobre este burgo sórdido, sobre este basurero,
esta casa de Dios, decid, oh santos
cañones de von Kluck, ¿qué guarda dentro?
Campos de Castilla
1970