Je suis le ciel du chêne, la charpente
D'un firmament de feuilles qui parlent ensemble.
Des songes des nuages me traversent ; les oiseaux
N'abusent pas de ma science : qu'ai-je connu ?
Que sais-je aux jours de l'amplitude verte en mon feuillage ?
Lorsque je pressens l'automne, aux indices
Qui se répandent : le chant des grives
Sur les éteules aiguisées que la chaleur relègue
À la vétuste librairie des saisons oublieuses,
L'empiètement du lit des herbes par les feuilles
Bordée de flammes, l'hésitation des roses
Sur les sol meuble, au bas des murs où de frileux soleils
Lissent leur cape, avant de s'éloigner
Sans conquérir, j'éprouve de toute ma patience
Qu'il faut enfouir l'encens des nues dans les racines,
Et dépouiller la pourpre qui fut mon manteau.
Le temps de rendre encore la justice entre l'ombre
Et le jour, lorsque la nuit s'allonge.
Sur les degrés du soir, lorsque le froid monte aux terrasses émues,
Les vents déjà, les vents, par les soirs bleus se ruent
Pour réveiller la tempête endormie de mes branches.
Je sais rendre à qui me confie le pouvoir,
Le sceptre de mes bras gourds, l'étoile de vigie
Qui annonçait l'été de sa lueur d'opale, un rossignol
Dont le chant solitaire n'a pas encore d'autre témoin
Que le silence émerveillé de mon feuillage, sa voix
Ne fut jamais la mienne, mais celle qui me hante — un autre parle,
Certains le nomment l'inspiré, parmi d'autres murmures.
Je laisse choir le vêtement du sacre à terre.
Nous irons nus, le torse ceint d'un pagne
Blanc, l'écorce flagellée de vents, un diadème de gui, presque d'épines,
Au faîte de mes branches. Qu'ai-je à craindre,
Pourtant, si je suis innocent de la gloire
Qu'on me reproche, serviteur
Humilié sous les crachats de vent ?
Certains ont dit — qui veut les croire, — tes paroles
Sont belles, jugez-moi
Sur les écrits des feuilles qui me furent données, sur l'or
De mes décrets : j'ai rendu la justice
Non pas selon l'aigreur
Qui tord la bouche aux bises qui s'amassent,
Mais selon d'autres pitiés qui ne sont nées de moi : la compassion
De mon feuillage abrite de la foudre un peuple calme
Pendant que la pluie chaude et bleue d'août belliqueux
Jette son tintamarre de hallebardes sur les hardes des mares.
Vous savez, dirigée vers l'azur, ma cime, je n'ai jamais caché
Quelle douceur au ciel je guette, lorsque paraît l'Est
L'aube aux falaises grises,
Appelant le soleil de mes sources qui bruissent,
Par grands oiseaux candides et cachés.
Je ne craindrai ni l'hiver qui s'approche
Avec la faux de ses corbeaux criards, ni le culte
Du gui sur mes branches païennes,
Et s'il faut que je meure, je lègue en guise de royaume,
La majesté de mon assise — l'espérance,
Par quoi se sont unies à la ténèbre aimée
Mes racines, ma sève.
Philippe Delaveau
Le Veilleur amoureux
précédé d'Eucharis
Gallimard, 2009