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ÉFÉRIS |
L'arbre est un fleuve d'étoiles qui s'écoule,
L'arbre tord ses mains, s'apaise, l'arbre est inflexible, l'arbre
N'est rien que la matière qui respire, et la matière est bonne.
L'arbre est la sentinelle du temps.
Il vibre au passage amoureux du soleil, déploie
Ses feuilles, nous invite à veiller aux quatre nuits de l'an qui passe,
Et quand la terre accablée renouvelle
L'inépuisable fécondité de son ventre, il annonce
Le jour qui vient, la montée de la sève jusqu'à la gloire.
Puis le soleil se glace, les oiseaux se démettent, l'arbre n'est plus
Alors qu'une passion vouée à la cendre, clouée
À l'absence du paysage, au vide où s'égrènent
Pas et pensées, rêveries vaines.
Qui fait hurler le vent, courir par bonds les lièvres
Sur la jachère. La dure loi exige un don total.
Nos doigts peu à peu lâchent l'objet qu'ils convoitent,
Nos yeux quittent l'orbite où ils entretenaient
L'amour de la lascivité, le désir de puissance et de domination.
Chacun des sens outragés par la nuit, la mort le livre
Aux ateliers de la terre qui simplifie et décompose. Les os
S'alignent sous le suaire des sables, l'âme
Qui ne divague plus comparaît devant le maître.
M'as-tu jamais aimé ? L'arbre semble dormir,
Ne dort jamais, offre aux abeilles
Un refuge au repli de ses branches,
Un trou dans sa cuirasse aux colombes.
Sans jamais divertir, ayant reçu
Nativement sagesse et jugement.
Philippe Delaveau
Le Veilleur amoureux
précédé d'Eucharis
Gallimard, 2009