Parti du nord, l'hiver, en frissonnant,
Déroule aux champs son froid manteau de neige !
L'arbuste meurt, et le hêtre se fend.
Seul au désert, comme un roi sur son siège,
Un arbre encore ose lever son front.
Par les frimas couronné d'un glaçon ;
Cristal immense, où brillent scintillantes
D'or et de feux mille aigrettes flottantes,
Flambeau de glace, étincelant la nuit,
Pour diriger le chasseur qui le suit :
Du Canada c'est l'érable chérie,¹
L'arbre sacré, l'arbre de la patrie.
Mais quand zéphyr amollit les sillons,
Que le printemps reparaît dans la plaine,
Le charme cesse ; ils tombent ces glaçons,
Comme des bals la parure mondaine
Dont la beauté s'orne tous les hivers.
L'arbre grisâtre échauffé par les airs,
Verse des pleurs de sa souche entr'ouverte,
Comme un rocher suinte une écume verte ;
Mais douces pleurs, nectar délicieux,
C'est un breuvage, un mets digne des dieux ;
Du Canada, c'est l'érable chérie,
L'arbre sacré, l'arbre de la patrie.
L'été s'avance avec ses verts tapis ;
Et libre enfin du bourgeon qui la couvre,
En festins verts sur chaque rameau gris,
Comme un trident une feuille s'entr'ouvre ;
L'arbre s'ombrage, épaissit ses rameaux,
Fait pour l'amour des voûtes, des berceaux.
Sur le chasseur, l'émigré qui voyage,
Le paysan, il étend son feuillage,
Dôme serré qui brave tour à tour
Les vents d'orage et les rayons du jour :
Du Canada, c'est l'érable chérie,
L'arbre sacré, l'arbre de la patrie.
L'automne enfin sur l'aile d'Aquilon,
Comme un nuage emporte la feuillée,
Et verse à flots sur l'humide vallon,
Brume, torrent, froid, brouillard et gelée.
L'érable aussi dépouille son orgueil,
Et des forêts sait partager le deuil ;
Mais en mourant, sa feuille, belle encore,
Des feux d'Iris et du fard de l'aurore,
Tombe et frémit, en quittant son rameau,
Comme le vent siffle aux mâts d'un vaisseau :
Du Canada, c'est l'érable chéri,
L'arbre sacré, l'arbre de la patrie.
Pierre Petitclair
Anthologie de la poésie québécoise
di XIXè siècle (1790-1890)
par John Hare
Cahiers du Québec / Hurtubise HMH, 1979
¹ L'érable chérie : le mot «érable» est généralement masculin. Le poète le met au féminin
pour les commodités de la rime , .