Figuiers, figuiers mystérieux
Faits de lourd argent lisse,
Faits de doux argent immaculé dans l'air du Sud
Je dis immaculé, mais je veux dire opaque
Massif argent à chair lisse, lourd comme seuls le sont les
membres de l'homme
Avec l'éclat de la vie,
Nus dans la sombre lumière tamisée de la vie pleine, saine,
Toujours demi-obscure,
Et suave comme les pétales des fleurs de la passion,
Comme des fleurs de la passion,
Avec la lueur demi-secrète de la fleur de la passion qui pend
du rocher,
Grand, compliqué, figuier nu, réseau de fleurs sans tiges,
Fleur nue dans sa chair, émettant les couleurs de la vie.
Plutôt comme une pieuvre, mais une pieuvre étrange aux
membres doux innombrables ;
Comme une anémone de mer nue, chair douce attachée au
rocher,
Fleurissant du rocher avec une mystérieuse arrogance.
Laissez-moi m'asseoir sous le candélabre aux branches nombreuses
Qui vit sur ce rocher
Et rire du Temps et rire de la triste
ternité,Et plaisanter sur l'Infini rassis,
Dans l'odeur charnelle de cet arbre pervers,
Qui a gardé par-devers lui tant de secrets,
Et qui a ri à travers tant d'âges
De l'homme et de ses embarras,
Et de sa tentative de se convaincre que ce qui est ainsi n'est pas ainsi,
Par devers-lui.
Laissez-moi m'asseoir sous ce candélabre aux branches nombreuses
Le chandelier juif à sept branches puant le suif, balancé par-dessus
la falaise,
Et délivré de toute cette rectitude de suif,
Et laissez-moi noter comme il se tient.
Et le regarder pousser chaque fois vers le ciel,
Chaque fois droit vers le ciel,
Avec une merveilleuse assurance nue, chaque branche pour elle-même,
Chacune partant droit vers le ciel
Comme si elle était le guide, le tronc, le précurseur,
Déterminée à porter le cierge allumé du soleil sur la bobèche de son
bourgeon,
Elle seule.
Chaque jeune branche
Sitôt sortie des flancs de son prédécesseur
Sans scrupule se lance
Pour tenir le cierge, le seul cierge allumé du soleil, dans sa bobèche.
Puis, de son flanc désinvolte donner naissance à un autre bourgeon.
Qui sur-le-champ jaillit pour être le seul et l'unique,
tenir le cierge radieux su soleil.
Ô candélabre aux branches nombreuses, ô étrange figuier dressé,
Démos, Démos, Démos !
Démon aussi,
Figuier pervers, énigme d'égalité, avec tes rougissants fruits secrets.
Taormina.
D.H. Lawrence
Poèmes
Traduits par Lorand Gaspar et Sarah Clair
Gallimard, 1996
♦
Bare fig-trees
Fig-trees, weird fig-trees
Made of thick smooth silver,
Made of sweet, untarnished silver in the sea-southern air
I say untarnished, but I mean opaque
Thick, smooth-fleshed silver, dull only as human limbs are
dull
With the life-lustre,
Nude with the dim light of full, healthy life
That is always half-dark,
And suave like passion-flower petals,
Like passion-flowers,
With the half-secret gleam of a passion-flower hanging from
the rock.
Great, complicated, nude fig-tree, stemless flower-mesh,
Flowerily naked in flesh, and giving off hues of life.
Rather like an octopus, but strange and sweet-myriad-limbed
octopus;
Like a nude, like a rock-living, sweet-fleshed sea-anemone,
Flourishing from the rock in a mysterious arrogance.
Let me sit down beneath the many-branching candelabrum
That lives upon this rock
And laugh at Time, and laugh at dull Eternity,
And make a joke of stale Infinity,
Within the flesh-scent of this wicked tree,
That has kept so many secrets up its sleeve,
And has been laughing through so many ages
At man and his uncomfortablenesses,
And his attempt to assure himself that what is so is not so,
Up its sleeve.
Let me sit down beneath this many-branching candelabrum,
The Jewish seven-branched, tallow-stinking candlestick
kicked over the cliff
And all its tallow righteousness got rid of,
And let me notice it behave itself.
And watch it putting forth each time to heaven,
Each time straight to heaven,
With marvellous naked assurance each single twig,
Each one setting off straight to the sky
As if it were the leader, the main-stem, the forerunner,
Intent to hold the candle of the sun upon its socket-tip,
It alone.
Every young twig
No sooner issued sideways from the thigh of his predecessor
Than off he starts without a qualm
To hold the one and only lighted candle of the sun in his
socket-tip.
He casually gives birth to another young bud from his thigh,
Which at once sets off to be the one and only,
And hold the lighted candle of the sun.
Oh many-branching candelabrum, oh strange up-starting fig-
tree,
Oh weird Demos, where every twig is the arch twig,
Each imperiously over-equal to each, equality over-reaching
itself
Like the snakes on Medusa's head,
Oh naked fig-tree!
Still, no doubt every one of you can be the sun-socket as
well as every other of you.
Demos, Demos, Demos!
Demon, too,
Wicked fig-tree, equality puzzle, with your self-conscious
secret fruits.
.