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Lune
Extasiées sont restées les pupilles profanes
devant la beauté du paysage endormi.
Sont restées regardant cette douceur tranquille
du village nocturne et petit comme un nid.
La lune qui, dans la brume d'un ciel de cendre,
répand les clartés de sa lumière d'argent,
les maisons accolées, le clocher du couvent
portent la douce griffe de la paix champêtre.
Les peupliers se dressent, noirs et assoupis,
et là-haut dans leurs cimes passe un battement
ou un frissonnement de froid et de rancœur...
Car ils ont le désir de s'enivrer de ciel,
de sentir en oiseaux le vertige du vol
et, retenus au sol, se crispent de douleur...
Pablo Neruda
Cahiers de Temuco (1919-1920)
Traduction de Claude Couffon
Le Temps des Cerises, 2003