Mon enfance aussi triste qu'un chant qui ne cesse
et se perd dans la brume, la lumière ou la mer.
Mon enfance triste
claire comme un v
u virginal de chasteté.
Mes heures lointaines, mes heures perdues
qui dans le lointain se font plus saintes encore.
Ni frère. Ni tendresse.
peine cette brumedes choses lointaines qui peut être arrivèrent. ..
Qui a perturbé mon enfance ? Qui m'a jeté des cendres
de mort ? Que m'a-t-on donné, Seigneur,
Qui a reçu les doux élans de ma bonté,
les liqueurs irisées de mon c
ur généreux ?
Les haines ancestrales ont-elles gâté mon vin ?
Et dois-je mes blessures aux hommes d'autres âges
que je ne connais pas encore ?
Mon enfance aussi triste qu'un jour de pluie,
où j'ai tari toute la soif de ma douceur
en regardant le chemin, de plus en plus bleu !
ENVOI
Peupliers du chemin, qu'il y ait dans ce chant
trois riens de fatigue et un de bénédiction,
fatigue, mes pas sous les arbres des futaies.
Bénie soit à jamais la première chanson !
Peupliers, j'ai quitté mon enfance moussue
où le chemin, lui seul, me parlait d'émotion.
J'ai appris à aimer les arbres, à contempler les choses
en mettant un peu d'émotion dans mes pupilles.
Peupliers, pour mes heures
lointaines bénissons la première chanson !
Pablo Neruda
Cahiers de Temuco (1919-1920)
Traduction de Claude Couffon
Le Temps des Cerises, 2003