Peupliers et trembles. Dans la dernière clarté horizontale
à cette heure où la feuille la plus haute, qui tout le jour
était prise dans la rivière de brise invisible
soudain se fige en un miel de silence.
Pourquoi toujours ai-je reconnu le soir ?
Le soir n'arrête rien
— si ce n'est ce court instant irrésolu où la terre,
ayant cessé d'inspirer, retient son souffle
avant sa longue expiration nocturne —
et tout à l'heure la chasse sera ouverte de toute dent,
de tout œil, de toute griffe contre tout poil, contre tout sang.
L'Éternel
est un grand hibou au plumage de silence.
L'Éternel est une martre,
L'Éternel tue l'Éternel et se nourrit de son propre sang.
L'Éternel est ce qui n'a pas de sens,
n'a point de lieu, de nom, de temps —
Peupliers, trembles du soir,
que j'ai aimé ces feuilles à deux couleurs
entraînées pâles et sombres dans le courant de l'ample rivière invisible !
Tout à l'heure, la recherche de la chaleur, les grottes,
les profondeurs de la nuit créée, la plongée
vers les eaux souterraines, mais maintenant
ce court arrêt, la largeur à peine d'un fuseau horaire,
ailleurs meuglent les usines, les rotatives
ici même aux fenêtres de grands express européens
la matrone hollandaise entre Colmar et Mulhouse regarde
Bolwiller tout éperdu dans un miel solennel.
Rien de réglé, rien de promis, le soir n'apporte rien.
Ô confitures du quiétisme ! miel vénéneux à l'âme et pourtant
le soir est l'image du pays natal
le soir nous ouvre un pays ancien.
Jean-Paul de Dadelsen
Jonas