pour Paul Antschel
Un saule au bord de l'eau
dans une campagne vide
avec, par-dessus, un soir
aveugle et pâle :
Il y avait là un homme à l'écoute,
assis le long de la berge,
et comme l'eau bruissait,
il s'oubliait et oubliait le temps.
Et pas la moindre lueur d'une étoile,
pas de vent, il ne se passait rien,
la campagne était vide comme toujours,
et pourtant tout était là.
Il savait s'entourer
de ce qui lui était familier :
Cette vie était sa vie,
sa campagne était sa campagne.
Survinrent alors des temps farouches,
la folie à travers le monde :
il se sentit glisser
et sut qu'il avait failli.
Il dut regarder des étrangers
et s'adonna au lointain,
des yeux de belles femmes
troublèrent sa raison.
À présent la fuite est achevée,
les années longuement perdues :
ses mains sont si vides,
et rien de ce qu'il a gardé.
Désormais, à la fente du soir,
une seule chose existe :
au bord de l'eau un saule
dans une campagne vide.
21 septembre 1945
Alfred Margul-Sperber
Poèmes de Czernowitz
traduits de l'allemand par François Mathieu
Laurence Teper, 2008