Mais la même allure et le même sourire et qui vont au canal ? Les bouleaux, les trembles, les peupliers, autant de haies montées en graine, autant de palissades frémissantes qui vous taillent dans le ciel cette avenue dont le modèle au sol est le canal avec ses deux chemins, car avec l'eau qui ne passe pas et le marcheur au long d'elle en train de suivre indéfiniment, on est dans l'idéal d'une allée de calme pour le traînard obsessionnel à la poursuite du mot juste au loin devant. Sans obstacle, et tant mieux s'il y a de l'eau. Cette fois, au lieu que la rivière le vide et l'entraîne, c'est lui qui hale toute l'image. Au long de la voie d'eau, enfin c'est lui qui mène le moment. Avec ces moires et ces éclats contre son flanc, il est un peu devenu rivière, il passe, alors que la rivière est devenue méditation, elle reste. Je me répète : et si la rivière était mentale ? En tout cas matière à métaphore ? Destinée à la métamorphose ? Au mieux dans la métaphore, vu l'insaisissable au bord duquel se tiennent la parole et le bouleau et le tremble et le peuplier. (Mais je sens que nous en reparlerons.). Car le bouleau, le tremble, le peuplier, surtout le peuplier, cette pompe aspirante (au moins 80 litres d'eau par jour), ont un formidable effet de rivière debout : froissement de feuillage égale frémissement d'eau, froissement d'eau égale frémissement de feuillage. |
Granges sur Vologne Pontcharra sur Turdine
Ludovic Janvier
Des rivières plein la voix
promenade
Gallimard, 2004