Elle n'était encor qu'une enfant frêle et blonde,
Qu'elle vivait à part et s'isolait du monde,
Un de ses grands bonheurs était de se percher
Dans les branches d'un arbre et de s'y bien cacher ;
Et seule, elle restait ainsi de longues heures,
Immobile à rêver — et c'étaient les meilleures,
Disait-elle plus tard, quand la main dans la main,
Nous causions doucement de ce passé lointain,
Où son âme ignorait mon âme et moi la sienne.
— À quoi donc songeais-tu, rêveuse aérienne ?
Sans doute l'avenir se peignait à tes yeux
Sous les traits enchanteurs d'un bonheur radieux...
Hélas ! quel démenti te donnait avant l'âge
Le sort qui te forgeait un si rude esclavage !
Voyais-tu sous quel joug il faudrait te ployer ?
Et l'amertume assise à ton jeune foyer,
Jusqu'à l'heure où l'amour, nous unissant dans l'ombre,
Brilla comme une étoile au bord de ton ciel sombré ?
— Maintenant que la mort t'a prise entre mes bras,
N'est-ce pas ? jusqu'à moi souvent tu descendras ?
Si ton âme aime encore à revoir cette terre,
À rêver loin du sol dans un coin solitaire,
Comme faisait l'enfant au matin de ses jours,
Ah ! viens à moi, descends, visite-moi toujours !
Mon âme est un grand arbre aux vastes rameaux sombres,
Où le vent fait flotter les rayons et les ombres,
Où le feuillage ému, plein de bruits enchanteurs,
Des sèves du printemps vanne au loin les senteurs,
Où la fraîcheur des nuits, lentement déposée,
Transforme en diamants les pleurs de la rosée,
Le zéphyr y frémit, et les oiseaux du ciel
Y cachent leurs doux nids, et l'abeille son miel.
Mille doux souvenirs s'abritent sous son dôme :
Mais c'est toi que je veux, ô bien-aimé fantôme !
Chère ombre à qui je dois tant de biens et de maux,
C'est toi que je veux voir toujours dans mes rameaux !
Édouard Grenier
Poésies complètes
Charpentier, 1882-1891