8 mars 2013 5 08 /03 /mars /2013 07:23

 

Voici l'arbre,

l'arbre de la tempête,

l'arbre du peuple.

Ses héros montent de la terre

comme les feuilles sortent de la sève,

et le vent étoile les feuillages,

foule bruyante,

jusqu'à ce que retombe en terre

la semence du pain.

 

Voici l'arbre,

l'arbre nourri de morts nus,

de morts flagellés, de morts déchirés,

de morts aux visages insupportables

empalés sur une lance,

pulvérisés par le bûcher,

décapités par la hache,

écartelés par le cheval,

crucifiés dans l'église.

 

Voici l'arbre,

l'arbre dont les racines sont vivantes,

il changea en salpêtre le sang des martyrs,

ses racines mangèrent du sang,

il fit sortir des larmes du sol :

il les fit monter par ses ramures,

il les répandit dans son architecture.

Elles furent des fleurs invisibles,

parfois des fleurs enterrées,

d'autrefois des fleurs qui firent briller leurs pétales

comme des planètes.

 

Et l'homme cueillit sur les branches

les corolles durcies,

il les donna, de main en main,

comme s'il s'agissait de magnolias ou de grenades

et aussitôt, elles ouvrirent la terre

et grandirent jusqu'aux étoiles.

 

Celui-ci est l'arbre des hommes libres.

L'arbre-terre, l'arbre-nuage.

L'arbre-pin, l'arbre-flèche.

L'arbre-poing, l'arbre-feu.

L'eau tumultueuse de notre époque nocturne le noie,

mais son mât balance

le cercle de sa puissance.

 

Quelquefois retombent

ses branches cassées par la colère,

et une cendre menaçante

recouvre son antique majesté :

c'est ainsi qu'il traversa d'autres époques,

c'est ainsi qu'il sortit de l'agonie,

jusqu'à ce qu'une main secrète,

quelques bras innombrables,

le peuple,

rassemble et garde les fragments,

cache les souches insensibles,

et ses lèvres étaient les feuilles

de l'arbre immense réparti,

disséminé de toutes parts,

cheminant avec ses racines.

Celui-ci est l'arbre,

l'arbre du peuple, de tous les peuples,

de la lutte et de la liberté.

 

Découvre sa chevelure de feu :

touche ses rayons renouvelés :

enfonce ta main dans les usines

où son fruit palpitant

chaque jour propage sa lumière.

Élève dans tes mains cette terre,

participe à cette splendeur,

prends ton pain et une pomme,

ton cœur et ton cheval,

et monte la garde à la frontière,

à la limite de son feuillage.

 

Défends l'extrémité de ses corolles,

partage les nuits hostiles,

veille sur le cycle de l'aurore,

respire les hauteurs étoilées,

en soutenant l'arbre,

l'arbre qui croît au milieu de la terre.

 

 

 

Pablo Neruda

Chant Général

Traduction-adaptation française de Mario Bois

 

 

 

 

 

Canto General-Neruda-Theodorakis

 

 

 

 

 

Los libertadores

 

 

Aquí viene el árbol, el árbol

de la tormenta, el árbol del pueblo.

De la tierra suben sus héroes

como las hojas por la savia,

y el viento estrella los follajes

de muchedumbre rumorosa,

hasta que cae la semilla

del pan otra vez a la tierra.

 

Aquí viene el árbol, el árbol

nutrido por muertos desnudos,

muertos azotados y heridos,

muertos de rostros imposibles,

empalados sobre una lanza,

desmenuzados en la hoguera,

decapitados por el hacha,

descuartizados a caballo,

crucificados en la iglesia.

 

Aquí viene el árbol, el árbol

cuyas raíces están vivas,

sacó salitre del martirio,

sus raíces comieron sangre

y extrajo lágrimas del suelo:

las elevó por sus ramajes,

las repartió en su arquitectura.

Fueron flores invisibles,

a veces, flores enterradas,

otras veces iluminaron

sus pétalos, como planetas.

 

Y el hombre recogió en las ramas

las caracolas endurecidas,

las entregó de mano en mano

como magnolias o granadas

y de pronto, abrieron la tierra,

crecieron hasta las estrellas.

 

Éste es el árbol de los libres.

El árbol tierra, el árbol nube,

el árbol pan, el árbol flecha,

el árbol puño, el árbol fuego.

Lo ahoga el agua tormentosa

de nuestra época nocturna,

pero su mástil balancea

el ruedo de su poderío.

 

Otras veces, de nuevo caen

las ramas rotas por la cólera

y una ceniza amenazante

cubre su antigua majestad:

así pasó desde otros tiempos,

así salió de la agonía

hasta que una mano secreta,

unos brazos innumerables,

el pueblo, guardó los fragmentos,

escondió troncos invariables,

y sus labios eran las hojas

del inmenso árbol repartido,

diseminado en todas partes,

caminando con sus raíces.

Éste es el árbol, el árbol

del pueblo, de todos los pueblos

de la libertad, de la lucha.

 

Asómate a su cabellera:

toca sus rayos renovados:

hunde la mano en las usinas

donde su fruto palpitante

propaga su luz cada día.

Levanta esta tierra en tus manos,

participa de este esplendor,

toma tu pan y tu manzana,

tu corazón y tu caballo

y monta guardia en la frontera,

en el límite de sus hojas.

 

Defiende el fin de sus corolas,

comparte las noches hostiles,

vigila el ciclo de la aurora,

respira la altura estrellada,

sosteniendo el árbol, el árbol

que crece en medio de la tierra.

SG

 

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Sylvie Gaté