Il Re Travicello |
Face au roi Soliveau, Qui échut aux grenouilles, Je tire mon chapeau Et fléchis le genou ; Déclarant à mon tour Qu'il leur tomba du ciel : Combien commode et beau Est mon roi Soliveau !
Il chut dans son royaume En menant grand fracas ; Car les têtes de bois Toujours font du tapage : Mais bientôt il se tut ; Et flottant sur les eaux Il resta tout nigaud Notre roi Soliveau.
De tout le marécage, On vint voir ce machin : « C'est là le souverain Qui faisait si grand bruit ?» Coassait-on partout. « C'est pour être sifflé Que fait pareil bordel Ce grand roi Soliveau ?»
« Donc ce tronc raboté Portera la couronne ? Ou Jupin s'est trompé Ou bien il nous couillonne : Expulsons au plus tôt Un roi aussi stupide ; Qu'on renvoie en appel Le dit roi Soliveau.»
Silence, taisez-vous ! Et laissez le royaume Ô bêtes que vous êtes, À ce roi fait de bois. Il ne vous gruge point, Il vous laisse chanter ; Point d'horrible massacre Sous un roi Soliveau.
Doucement, au palais, Emporté par le vent, Il ballotte, et il flotte ; Et jamais dans l'Etat Ne pêche jusqu'au fond : Ô science du monde ! Quelle sage cervelle Que ce roi Soliveau !
Quand il veut au hasard Dans l'eau plonger le chef, Il reparaît bientôt, Léger à la surface, Comme l'instant d'avant. Appelez-le Altesse, Cela sied à merveille À ce roi Soliveau.
Voulez-vous qu'un serpent Trouble votre sommeil ? Dormez donc satisfaites, Là-bas dans votre boue, Ô bêtes sans défense : Pour qui n'a pas de dents Est fait à sa mesure Un tel roi Soliveau.
Un peuple comblé par Tant d'heureuses fortunes Peut bien se dispenser D'avoir le sens commun. Ah ! quel peuple parfait, Et quel prince solide, Quel sacro-saint modèle Que ce roi Soliveau ! | Al Re Travicello Piovuto ai ranocchi, Mi levo il cappello E piego i ginocchi ; Lo predico anch’io Cascato da Dio : Oh comodo, oh bello Un Re Travicello !
Calò nel suo regno Con molto fracasso ; Le teste di legno Fan sempre del chiasso : Ma subito tacque, E al sommo dell’acque Rimase un corbello Il Re Travicello.
Da tutto il pantano Veduto quel coso, « È questo il Sovrano Così rumoroso ? S’udì gracidare. « Per farsi fischiare Fa tanto bordello Un Re Travicello ?
« Un tronco piallato Avrà la corona? O Giove ha sbagliato, Oppur ci minchiona : Sia dato lo sfratto Al Re mentecatto, Si mandi in appello Il Re Travicello.»
Tacete, tacete ; Lasciate il reame, O bestie che siete, A un Re di legname. Non tira a pelare, Vi lascia cantare, Non apre macello Un Re Travicello.
Là là per la reggia Dal vento portato, Tentenna, galleggia, E mai dello Stato Non pesca nel fondo : Che scienza di mondo ! Che Re di cervello È un Re Travicello !
Se a caso s’adopra D’intingere il capo, Vedete? di sopra Lo porta daccapo La sua leggerezza. Chiamatelo Altezza, Chè torna a capello A un Re Travicello.
Volete il serpente Che il sonno vi scuota ? Dormite contente Costì nella mota, O bestie impotenti : Per chi non ha denti, È fatto a pennello Un Re Travicello !
Un popolo pieno Di tante fortune, Può farne di meno Del senso comune. Che popolo ammodo, Che Principe sodo, Che santo modello Un Re Travicello ! |
Giuseppe Giusti
Traduction de Danielle Boillet
Anthologie bilingue de la poésie italienne
Gallimard, 1994