I
Ne te souvient-il donc plus de nos matins
Émerveillés ? À nos yeux des nuages
Rosissants de pêchers, blancs de pruniers
Apparurent : dans l'air, la danse de flocons
Blancs, roses, ou des deux couleurs ; pommiers,
Poiriers vigoureux, abricotiers graciles.
Tel parut ce jardin à nos regards voilés
De larmes, et durant des jours garda enclos
Le reflet dans les cieux d'une aube inattendue.
Là étaient, tu sais bien, l'espoir et la promesse ;
Mais l'abeille pourtant au sortir de sa ruche
Déjà butinait l'illusion, d'où elle tire,
Tout comme je le fais, un miel de vie.
II
Une nuée, puis une averse... peu à peu
Revint l'hiver ; et pendant de longs jours,
Reclus, nous entendîmes grommeler le feu.
Disparurent alors les arbres blancs et rouges,
Noyés sous les frimas ; et dans le ciel tout blême
Courait un sifflement incessant de fuseaux ;
Il plut, sans fin. Le soleil (mais d'où resurgi ?)
Vint de nouveau briller au carillon des cloches :
Tout était vert, vert aussi ce jardin.
Où étaient les rameaux pareils aux filigranes ?
Tous les pétales à terre. Et quand vint l'aurore
Nous foulâmes aux pieds les souvenances vaines,
Chacune avec encor l'empreinte d'une larme.
III
Tu t'en souviens ? j'ai dit : « Ô âme sœur,
Ils sont vivants. Ne sais-tu pas que pour la vie
L'on jette quelque chose d'encore plus beau
« Que la vie : son impalpable effloraison
D'ailes ? L'arbre qui voit, à ses ramures,
Mille fruits tout altérés de sève, désigne
« Sur le sol oubliées, ces fleurs qu'il délaissa...
Mais non, pas celui-ci, m'arrêtai-je, celui
Qui n'a aux branches et au pied ni fruits ni fleurs. »
Il se tenait dressé sans crainte ou allégresse,
Et sans plus connaître hivers ni printemps, cet arbre :
Un arbre auquel désormais le vent des tempêtes
N'ôterait que feuilles à peines nées, et sitôt chues.
IV
« Arbre ignoré ! » dis-je, tu te rappelles ?
« Arbre étrange, dont la frondaison laisse voir
Un double vert, avec ce jaunet discordant ;
« Arbre maudit, qui es fait d'étranges ramures,
D'un feuillage étrange, ici rond, là acéré,
Qui recèles je ne sais quels nœuds, quels filaments ;
« Arbre que ta santé même a rendu chétif,
Arbre qui ne portes plus de bourgeons en fleur,
Arbre qui ne vois plus des ailes chues à terre ;
« Arbre défunt, qui n'a cure du tendre effluve
Qui charrie les pollens, ni du sifflement
De la nuée qui, rageuse, fouaille les vignes...
« Ah ! elles sont en toi, les racines du gui !»
V
Quel vent de haine te porta, et quelle force
Aveugle ou ennemie inocula ce germe
Minuscule et mou dans ta rude écorce ?
Toi, tu ne savais pas, ne croyais pas : mais lui voulut :
Il sillonna ton tronc de ses vertes veinules,
Il se fit un purin qu'il tira de ta moelle !
Et tu dépérissais : tu perdais conscience
Du beau, du bien, tu ne sentais plus la poussée
Des bourgeons, tellement t'entravait ton lichen.
Et lui grandit et l'emporta : et toutes tes couleurs,
Toutes tes suavités, le suc de tes fruits,
Et toute la fragrance de tes fleurs,
Ne sont qu'une opaline perle de mucus.
VI
Arbre, deux âmes sont en toi. Ne sens-tu plus
Leur lutte, au moment où tu recueilles
Dans le nonchalant murmure des vents ?
Celle qui s'avivait de pleurs et de sourires,
Qui souriait vers toi du bord de ses corolles,
Qui gémissait pour toi de ses pousses tranchées,
Et qui d'amour frissonnait aux envols
D'abeilles velues, déjà s'ignore elle-même.
Tu vis par l'autre, et de plus en plus tu dérobes
À toi-même, en une fuite immobile ; et voici
Que l'ombre étrangère déjà sur toi l'emporte,
Se fait toi. Et toi, malgré tes bourgeons d'antan,
Tu distilles à présent le gluten de la mort.
♦
Il vischio
I
Non li ricordi più, dunque, i mattini
Meravigliosi ? Nuvole a' nostri occhi,
Rosee di peschi, bianche di susini,
Parvero : un'aria pendula di fiocchi,
O bianchi o rosa, o l'uno e l'altro : meli,
Floridi peri, gracili albicocchi.
Tale quell'orto ci apparì tra i veli
Del nostro pianto, e tenne in sé riflessa
Per giorni un'improvvisa alba dei cieli.
Era, sai, la speranza e la promessa,
Quella ; ma l'ape da' suoi bugni uscita
Pasceva già l'illusïone ; ond'essa
Fa, come io faccio, il miele di sua vita.
II
Una nube, una pioggia... a poco a poco
Tornò l'inverno ; e noi sentimmo, chiusi
Per lunghi giorni, brontolare il fuoco.
Sparvero i bianchi e rossi alberi, infusi
Dentro il nebbione ; e per il cielo smorto
Era un assiduo sibilo di fusi ;
E piovve e piovve. Il sole (onde mai sorto ?)
Brillò di nuovo al suon delle campane :
Tutto era verde, verde era quell'orto.
Dove le branche pari a filigrane ?
Tutti i petali a terra. E su l'aurora
Noi calpestammo le memorie vane
Ognuna con la sua lagrima ancora.
III
Ricordi ? Io dissi : «O anima sorella,
Vivono ! E tu saprai che per la vita
Si getta qualche cosa anche più bella
Della vita: la sua lieve fiorita
D'ali. La pianta che a' suoi rami vede
I mille pomi sizïenti, addita
Per terra i fiori che all'oblìo già diede...
Non però questa (io m'interruppi), questa
Che non ha frutti ai rami e fiori al piede».
Stava senza timore e senza festa,
E senza inverni e senza primavere,
Quella ; cui non avrebbe la tempesta
Tolto che foglie, nate per cadere.
IV
Albero ignoto ! (io dissi : non ricordi ?)
Albero strano, che nel tuo fogliame
Mostri due verdi e un gialleggiar discordi ;
Albero tristo, ch'hai diverse rame,
Foglie diverse, ottuse queste, acute
Quelle, e non so che rei glomi e che trame ;
Albero infermo della tua salute,
Albero che non hai gemme fiorite,
Albero che non vedi ali cadute ;
Albero morto, che non curi il mite
Soffio che reca il polline, né il fischio
Del nembo che flagella aspro la vite...
Ah! sono in te le radiche del vischio !
V
Qual vento d'odio ti portò, qual forza
Cieca o nemica t'inserì quel molle
Piccolo seme nella dura scorza ?
Tu non sapevi o non credevi : ei volle :
Ti solcò tutto con sue verdi vene,
Fimo si fece delle tue midolle !
E tu languivi; e la bellezza e il bene
T'uscìa di mente, né pulsar più fuori
Gemme sentivi di tra il tuo lichene.
E crebbe e vinse ; e tutti i tuoi colori,
Tutte le tue soavità, col suco
De' tuoi pomi e il profumo de' tuoi fiori,
Sono una perla pallida di muco.
VI
Due anime in te sono, albero. Senti
Più la lor pugna, quando mai t'affisi
Nell'ozïoso mormorio dei venti ?
Quella che aveva lagrime e sorrisi,
Che ti ridea col labbro de' bocciuoli,
Che ti piangea dai palmiti recisi,
E che d'amore abbrividiva ai voli
D'api villose, già sé stessa ignora.
Tu vivi l'altra, e sempre più t'involi
Da te, fuggendo immobilmente ; ed ora
L'ombra straniera è già di te più forte,
Più te. Sei tu, checché gemmasti allora,
Ch'ora distilli il glutine di morte.
Giovanni Pascoli
Traduction de Maurice Javion
Anthologie bilingue de la poésie italienne
Gallimard, 1994