L’arbre à plumes collecte les brindilles pour amarrer les nids. Au préalable, il a repéré les endroits propices. Matière solide et sèche, échafaudée croisée sur une fourche saine pour figer le berceau et garantir l’aplomb du foyer.
Cette collecte est un travail d’infinie patience et de longue haleine, pas du tout un passe-temps. C’est le destin, la mission, le sens même de sa vie.
Chaque matin, il scrute le sol, évalue les trésors surgis de la nuit, du vent ou de la pluie et son cœur se gonfle en même temps que ses yeux. En un clin d’œil, il sait combien d’habitats il va pouvoir mettre à disposition des passereaux de toutes plumes, en priorité les éclopés, les vieillards, les malades et les fatigués. Et oui, même la nature fait du social et ce sont les arbres qui administrent les plans sociaux. Parce qu’eux connaissent tous ceux qui passent, ils savent dans quelles conditions ils voyagent, qui est en avance, qui est en retard, qui manque à l’appel… et avant même leur arrivée, par une magie absolument occulte, ils savent aussi qui aura besoin d’aide. Ce savoir-là est fait de silence et de frissons. Il n’a pas de nom, c’est une sorte de grâce, de révélation. Sûrement divine.
Dès le lever du jour, l’arbre à plumes s’étire, déploie ses branches tout en arc-boutant son fût pour cueillir la moisson journalière de brindilles. Il stocke selon les besoins et est aidé parfois par quelques écureuils qui se chargent du fret et des finitions. C’est un moment d’ébullition, un chantier matinal qui tient autant du numéro de cirque que de l’ouvrage de travaux publics. Les efforts de tous se conjuguent pour transporter les matériaux. Pour l’isolation, chacun est prié de faire avec son plumage.
En tant que chef de chantier, l’arbre à plumes est habilité à fournir toutes les indications aux ouvriers volontaires. Solidaires. Consolider ici, charpenter là, restaurer de l’autre côté.
À l’heure cruciale de la construction, il exécute une singulière chorégraphie. Inclinant sa plus haute branche, il dépose une feuille à chaque endroit qui lui paraît solide autant que stratégique pour accueillir un nid. partir de ce moment et en quelques acrobaties, le nid d’oiseau sera établi sur sa base, stable et enchâssée, et tout sera à disposition. Il ne restera que les décorations à apporter qui seront laissées au goût et à l’initiative des locataires.
Selon la saison, certains nids doivent être plus conséquents, d’autres seront plus discrets, certains seront douillets, d’autres rigoureusement spartiates ! Il en faut pour tout le monde et l’arbre à plumes connaît bien les « clients potentiels ». Depuis le temps, il est un peu devenu ornithologue !
Une fois installés, tous les oiseaux ont une vue panoramique sur la campagne et une terrasse attenante. Chaque soir, un pot d’accueil est organisé pour souhaiter la bienvenue aux nouveaux arrivants. C’est un séjour rêvé : pas de loyer, l’hébergement étant gratuit, repos garanti le temps de l’escale dans des limites négociables avec l’administrateur, entraide mutuelle naturelle, le tout dans une ambiance qui est loin d’être « volatile » mais bien plutôt communautaire.
C’est là l’œuvre de l’arbre à plumes. Depuis bien des années. D’ailleurs, on vient de loin pour faire étape chez lui, on vient à tire-d’aile car par-delà la halte, il est un royaume à lui seul. Certains font même le détour pour venir le saluer tant sa renommée est étendue. D’un pôle à l’autre, particulièrement grâce aux bernaches et aux sternes, ces belles hirondelles des mers. L’arbre à plumes est un contemplatif. Mais actif ! Les oiseaux du quartier l’appellent « l’Innombrable » tant sa robe fourmille de plumages certains soirs d’automne.
Pour lui, l’hospitalité a toujours été la priorité. quoi servirait-il d’avoir autant de bras qui resteraient ballants s’il ne les ouvrait à nul autre, à quoi servirait le bleu du ciel si aucune espèce ne pouvait le boire du haut de son perchoir, à quoi passerait-il son temps, solitaire, à qui parlerait-il ? Et c’est une évidence, comment vivre sans faire partager au moins un peu de ce qui nous a été donné ?
Naturellement l’hospitalité fait partie de sa haute nature, c’est son langage d’arbre. Il la porte et il la respire comme l’air vif qui frémit au sommet de son faîte. Un jour, à ce propos, il s’est interrogé sur le fonctionnement des humains. force de voir certains d’entre eux passer, repasser, fourbus, harassés, dormir sous des tentes l’hiver et même parait-il pour certains, sous des ponts ou dans des escaliers. Il s’est alors demandé s’il ne s’agissait pas d’un jeu, peut-être initiatique. Mais personne n’a jamais su lui donner une explication plausible. Aussi, quand il lui arrive de croiser l’un de ces individus, déambulant avec ce qui peut tenir lieu de maison sur son dos ou dans des sacs plastique gonflés, tenus à bout de bras, il se contente de lui adresser un sourire, le plus large possible. Et dans ce sourire là, il y a autant d’interrogation que d’empathie. |