On dit qu’un jour, il y a de cela bien longtemps, bien avant que la Terre eût décidé d’enraciner les arbres, l’un d’entre eux s’ennuyait dans la forêt où il était né.
Ce n’est pas qu’elle était laide, non, pas du tout. De nombreuses essences y croissaient paisiblement, admirant tour à tour le Soleil qui réchauffait leurs jours et la Lune qui ensongeait leurs nuits.
De temps à autre, bien plus souvent qu’on l’imagine, un oiseau se posait sur l’un ou l’autre, y bâtissait son nid, et le cycle de la vie reprenait, plus rapide, plus tendre aussi.
Celui qui avait été choisi se gonflait d’importance, même si, convenez-en, il n’y avait pas là de quoi s’enorgueillir ainsi.
Mais lui… lui, le héros de notre histoire, n’avait jamais su tendre assez loin ses branches : aucun de ces oiseaux n’avait daigné y faire simplement halte un moment.
Il se morfondait.
Un jour, il s’amputa de l’une d’entre elles pour que, dans le trou béant qu’elle laissait, au moins un écureuil s’attarde…
Ce fut peine perdue. Aucun animal ne grimpa jusqu’à l’abri offert.
L’arbre était solitaire et il le resterait.
Il se mit à insulter le soleil et la lune, jusqu’à la plus petite étoile dont les rires étaient telles des banderilles qu’on lui dardait du ciel.
Une nuit, alors qu’un nuage complice avait masqué la forêt et ses habitants, il s’échappa du cercle dont il se sentait tellement prisonnier.
Il franchit chacun des obstacles que la Terre avait dressés entre lui et la liberté.
En sortant du couvert des plus grands arbres, le vent qui se levait le surprit. Jamais notre héros n’avait eu à subir un assaut si violent.
Il faillit choir et aurait eu, sûrement, bien du mal à se redresser. Il n’avait pas l’habitude. Il devait maintenant apprendre à marcher seul, et c’était un apprentissage bien difficile auquel il n’avait pas pensé.
Dans la forêt, les arbres s’agrippaient les uns aux autres, les plus forts soutenant les plus faibles. C’était ainsi depuis la nuit des temps. Il se courba un peu et poursuivit sa route.
Il ignorait où elle le menait, d’où elle venait… mais pour lui rien n’avait d’importance. Rien d’autre que cette griserie qu’il sentait monter du plus profond de son être.
Il était libre d’aller et de venir, il pourrait même rebrousser chemin si c’était nécessaire.
On dit… On dit qu’il avança longtemps, apprenant peu à peu à ne pas avoir peur de l’inconnu qui se présentait parfois et qui l’obligeait à suspendre sa marche pour un moment, un jour, ou peut-être une année… Qui saurait mesurer le temps de l’arbre ?
On dit… On dit qu’il découvrit enfin que le monde n’avait pas de limites, que chaque jour était différent.
Il apprivoisa la lumière, le vent… Il perdit peu à peu l’inutile, l’accessoire, pour ne garder que l’essentiel.
On dit que seuls les doux rêveurs peuvent le voir passer, et même le rejoindre en suivant ses traces dans la neige ou sur la mousse.
Et, vous savez quoi ? Celui qui se fait désormais appeler “L’homme de bois” sait alors tendre les bras et vous y accueillir doucement, comme si vous étiez un oiseau ou un petit enfant. Il vous berce en chantonnant l’hymne que lui a offert la Terre, pas rancunière pour deux sous.
Elle a, depuis, enraciné les arbres, vous le savez tous, mais cet arbre-là lui tient bien trop à cœur pour qu’elle lui ait ôté une liberté si chèrement gagnée. |
Photographie : Balaline